Je viens de découvrir deux articles qui m’ont beaucoup fait réfléchir, et donné l’envie de partager ces réflexions avec vous. Il n’y a pas de jugement, mais plutôt d’une mise en forme.

J’ai défilé la pelote à l’envers, mais tout à commencé par un article paru en janvier sur le Nouvel Obs où une jeune femme, Marie, témoigne sur son absence de désir sexuel. Vient la réponse d’un sexologue, qui explique longuement qu’à ses yeux, les expériences décrites par Marie relèvent d’une pathologie et pas d’une véritable asexualité. Là dessus, un membre de la communauté asexuelle s’insurge, reprochant à Ronald Virag une attitude équivalent à celle d’envoyer les homosexuels consulter des psychiatres pour les guérir. Point de détail (enfin) : l’article de Ronald Virag ne niait pas l’asexualité en l’assimilant dans tous les cas à une pathologie, il essayait de clarifier les choses par rapport au récit d’une expérience. Sans rentrer dans une exégèse détaillée, les questions sont plutôt :

  • l’asexualité peut-elle réellement être considérée comme une « autre forme » de sexualité, au même titre que l’homosexualité ou la bisexualité ?
  • Ou bien peut-on considérer que le désir sexuel est aussi une fonction physique du corps, visant à assurer la reproduction de la race humaine, et que l’absence de tout désir de façon permanente montre que « quelque chose ne vas pas » ?
  • Enfin, au cas où on pencherait pour cette hypothèse, faut-il proposer des soins à des gens qui ne sont pas en demande et vivent cette asexualité sans souffrance ?

Les mécanismes du désir sexuel et du plaisir sont complexes

Les humains sont une des très rares espèces à éprouver suffisamment de plaisir lors de l’acte sexuel pour le considérer comme une activité à part, qui vaut la peine d’être exécutée en dehors de l’objectif de la reproduction. Les bonobos sont bien connus pour leur pratiques « humaines » dans ce domaine (et même plus civilisées…) et sont, avec nous, et peut-être les dauphins, les seuls à pratiquer l’acte sexuel en dehors des périodes où la femelle est prête à se reproduire.

D’un point de vue physiologique, pour résumer, le désir et le plaisir sont liés à l’action de neurotransmetteurs qui envoient les informations au cerveau. La dopamine envoie les signaux de désir sexuel, l’endorphine les signaux du plaisir.

Mais comme on n’est pas des machines, nos expériences ont un impact profond sur notre façon d’interpréter les signaux envoyés au cerveau. Souvenirs de traumatisme, insécurité ou même culture vont faire varier nos perceptions.

Un lit et un oreiller dans le flou

Les mécanismes du désir et du plaisir ne se définissent pas avec précision

J’avais par exemple été frappée du récit de Corinne Hofmann dans la Massaï Blanche racontant à quel point l’acte sexuel avec son époux Massaï était bref et dénué de toute caresse, mais surtout qu’elle n’avait pas pu lui faire apprécier « l’amour à l’occidentale ».

Le mécanisme physique du désir est universel, même les bébés peuvent avoir une érection (même les foetus ?). Sa transformation en émotion de désir dépend de chaque individu. Mais l’absence totale de désir physique traduit le manque ou le dysfonctionnement d’une fonction de notre corps.

La définition de l’asexualité est « négative »

Selon l’Aven, l’asexualité c’est l’absence de désir sexuel :

Cela veut dire ne pas ressentir le besoin ou l’envie d’avoir des relations sexuelles avec les autres. Un asexuel ne voit donc pas l’intérêt d’avoir des rapports sexuels et pourra passer sa vie entière sans relations sexuelles sans en souffrir.

L’assimilation de l’asexualité à d’autres formes de sexualité est une position de principe tendancieuse. On ne peut pas assimiler une orientation sexuelle « différente » – c’est-à-à-dire une orientation d’une pulsion – à une absence totale de cette même pulsion.

Prenons un exemple autre et caricatural (mais la caricature a l’avantage de faire ressortir les défauts de raisonnement).

Le goût est un sens partagé par presque tous les humains. En mettant de côté les comportements pathologiques, nous avons en général un plaisir plus ou moins important à manger de bonnes choses. Notre appétit nous pousse à nous nourrir, et nos choix se portent sur des aliments différents. Certains éprouvent un grand plaisir à se nourrir, d’autres sont « peu intéressés » et avalent un peu n’importe quoi, du moment qu’ils ont les calories nécessaires.

Ne pas ressentir le besoin de se nourrir conduirait directement la personne à la mort. En ce sens, les troubles du comportement alimentaire sont des pathologies qu’il faut soigner.

Dans pathologie il y a « souffrance »

Par contre, la sexualité répond à un besoin collectif de se reproduire. A un niveau individuel, ne pas avoir de relations sexuelles et ne pas se reproduire n’entraîne aucun dommage direct. On pourrait presque même dire ‘au contraire » étant donné la surpopulation de la planète.

On l’oublie souvent, une pathologie est  quelque chose qui fait souffrir et qui doit donc être soigné. Cette souffrance peut-être directe, ou bien induite par les symptômes à corriger.

Toujours dans mon exemple caricatural mais pas si faux que cela, une anorexie « maîtrisée » (où le poids ne descend pas trop bas) n’est pas directement menaçante, mais les comportements de régulation, comme se faire vomir, peuvent eux être directement nocifs pour le corps.

Etre asexuel est très certainement lié à des dysfonctionnements de la fonction reproductrice de l’espère. Mais si la personne est « bien dans sa tête bien dans son corps » peut-on réellement parler de pathologie ?

L’anosmie – absence d’odorat – peut être extrêmement handicapante quand elle est acquise, alors qu’une personne totalement sans odorat dès la naissance n’aura aucune sensation de manque et pourra vivre une vie normale dans une société où aucune fonction vitale n’est basée sur l’odorat.

Statue représentant un demi visage couché, en paix

L’absence de désir est elle un manque ? – Sculpture de Vince Vozzo

Dans ce cas, elle est un « défaut de fabrication » mais la personne qui en est atteinte peut très bien ne pas en souffrir.

C’est la même chose pour la véritable asexualité.

Fausse et vraie asexualité

En effet, je pense aussi, à lire les différents témoignages, qu’il y a une « fausse » asexualité. Celle-ci serait une façon de gérer un problème réel. On est alors au-delà de l’indifférence, dans le refus.

En effet, en lisant les deux témoignages, on voit que l’asexualité telle que la décrivent ces deux jeunes femmes va beaucoup plus loin que le manque d’intérêt, elle est du domaine du rejet. Voici quelques citations du premier article :

j’ai fini par développer un fort dégoût pour toute forme de sexualitéJ’ai toujours trouvé le désir sexuel égoïste, vouloir utiliser le corps de l’autre pour prendre son plaisir m’a toujours révoltée (…) m’a conduite à avoir de moins en moins envie de le pratiquer.

J’ai découvert que le sexe pouvait être beau. Bien sûr le désir sexuel n’est toujours pas là, mais maintenant je me sens prête à avoir des relations sexuelles, sans dégoût, sans blocages.

J’espère que mon corps ne le refusera pas, et que j’arriverai à créer suffisamment de désir pour pouvoir vivre ce moment. Mais même si j’y arrive, les relations resteront occasionnelles.

On retrouve la même notion de refus, de gêne, de malaise dans le second article :

Bien sûr, on le fait beaucoup moins souvent que la plupart des couples, mais ….par amour pour lui,  de temps en temps, je consens à faire « des efforts »: on doit faire l’amour une fois tous les 6 mois soit 2 fois par an et toujours dans la même position. Je refuse de faire des trucs de « fous », pour moi, c’est juste un devoir, un devoir conjugal que je dois assurer. Plus vite c’est fait, mieux je me porte. Quand je bois de l’alcool à très forte dose, je me laisse plus facilement faire (…)

Il ne peut pas vraiment toucher mon corps, je ne le lui permets pas. De toutes façons, je n’aime pas être touchée

Dans les deux citations, c’est moi qui ai mis en gras. On est bien au delà du désintérêt de la première définition. On est dans le registre du refus. Les mots sont très forts : dégoût, blocage, nécessité de s’enivrer pour perdre en partie conscience de ce qui se passe.

Je ne pense pas que tout le monde « doive » avoir une libido. Mais je pense que, lorsqu’une personne vit en couple doit s’enivrer pour pouvoir faire l’amour avec un partenaire qu’elle aime, il y a un problème. Que cette personne ait trouvé son équilibre et arrive à vivre ainsi est une chose, mais non, cette perception du sexe n’est pas assimilable à l’homosexualité.

Prétendre cela, c’est comme si un homosexuel se définissait comme une personne qui est dégoûtée par les femmes, au lieu d’être un homme attiré par les hommes (cela arrive, mais c’est loin d’être la majorité).

L’argument de l’idéologie dominante

Néanmoins, quand Baptiste dit  :

Avez-vous des bonnes raisons de penser que l’asexualité est un trouble mental ? Faites vous vraiment de la science quand vous écrivez ça ? Ma réponse à ces questions, vous l’avez compris : c’est non. Il ne s’agit pas de science, il s’agit d’idéologie.

… il a parfaitement raison.

La revendication de Marie, dans le premier article, d’un amour possible sans le sexe correspond à la définition de l’Amour Courtois du Moyen-Âge. Plus proche de nous, la véritable indifférence au sexe est encore un idéal partagé par des millions de personnes, bouddhistes, hindoues ou même chrétiennes…

Un couple

Chaque époque a sa vision des relations idéales entre un homme et une femme

Notre société est passée en un siècle d’une pudeur victorienne à une hyper-sexualisation qui n’est pas plus respectueuse de individus. D’ailleurs une autre étude le dit bien : les asexuels sont plus facilement compris par leurs grand-parents que leur parents.

La pression de cette idéologie dominante est, quelle qu’elle soit, génératrice de souffrance pour ceux qui ne rentrent pas dans le moule. Mais ne « pas rentrer dans le moule », « avoir un déficit des récepteurs de dopamine », ou même « être dégouté par le sexe » n’est pas une pathologie tant que la personne le vit de façon équilibrée.

Quelques sources pour creuser la question