Cet article est la traduction d’un très beau texte de Lisa Egan : I’m Not A « Person With A Disability »: I’m a « Disabled Person » .

Lisa Egan est anglaise, elle a 34 ans, et elle est handicapée moteur depuis la naissance, dans une chaise roulante. C’est une militante en faveur des droits des handicapés, elle tient un blog personnel, participe à un blog contre la réduction des aides aux handicapés et écrit dans de nombreux journaux.

Un grand merci à xoJane.com qui détient les droits sur l’article d’origine et nous a autorisé à le traduire.

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Une partie de l’article joue sur les mots « handicapé » et « désactivé » qui sont tous les deux traduits par « disabled » en anglais. De plus Lisa Egan utilise le mot « impaired » qui implique, sans connotation négative, une diminution de capacité. Je l’ai traduit – sans en être satisfait – par « déficience ». Comme on dit, toutes les erreurs sont la responsabilité du traducteur, tout le mérite revient à l’auteur.

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Je ne suis pas une « personne en situation de handicap ». Je « n’ai pas un handicap ». Etant donné que je suis ainsi :

Portrait de Lisa Egan

Portrait de Lisan Egan
© ewheeling

vous pensez probablement que je me fais des illusions, ou que je suis en plein déni. Ce n’est pas le cas. J’ai seulement un réel problème avec la phrase « personne en situation de handicap » et la notion « avoir un handicap« .

Je suis handicapée. Plus spécifiquement, je suis handicapée par une société qui met des barrières sociales, comportementales et architecturales sur mon chemin. Le monde dans lequel nous vivons me handicape en me traitant comme une citoyenne de seconde classe parce que j’ai quelques déficiences – de façon évidente, une diminution de ma capacité à me déplacer.

Deux façons de voir le handicap

Quelle différence y a-t-il entre « avoir un handicap » et « être handicapé » ? Cela se résume avec deux théories sociologiques : le modèle médical et individuel du handicap, d’une part, et d’autre part le modèle social.

Le modèle médical – l’idée qu’une personne a un handicap – est la notion dominante dans notre société. Il considère qu’une personne est empêchée de fonctionner dans notre société par son corps ou son cerveau, et c’est simplement la mauvaise chance de cette personne. Si elle ne peut pas se fondre dans son environnement, ce n’est pas le problème de l’environnement.

Le modèle social du handicap est celui avec lequel je préfère analyser mon environnement. Il considère qu’une personne avec une déficience ou une maladie est handicapée par la société dans laquelle nous vivons, à cause de toutes les barrières qui sont mises dans notre chemin.

La société me handicape

Je vis à Londres, qui a métro souterrain connu dans le monde entier. Seulement environ un cinquième des stations ont un accès pour les chaises roulantes. Quelqu’un avec une perspective médicale dirait que je suis empêchée de me déplacer dans ma ville parce que je suis une personne qui a un handicap et que ce n’est vraiment pas de chance que le Métro soit si peu accessible. Si je veux utiliser le Métro, je dois juste me débrouiller pour trouver un nouveau squelette.

Ma façon de voir les choses est différente : en ce qui concerne les trajets dans ma ville, j’ai été handicapées par les architectes qui ont installé des marches et des escalators dans la majorité des stations, au lieu de rampes et d’ascenseurs. Les marches et les escalators sont des barrières créées par les hommes et mises dans mon chemin par une société discriminatoire qui m’exclut parce que ma mobilité est déficiente. Je continue à être handicapée par un Maire qui a fixé pour les trois prochaines années l’enveloppe budgétaire pour l’amélioration de l’accessibilité du Métro à 0 £.

La plupart des gens, quand ils voient le mot « handicapé », pensent qu’il signifie « moins capable ». Ce n’est pas le cas. Il signifie « empêché de fonctionner ». Quand j’éteins la connexion sans-fil de mon ordinateur, je vois que la connexion a été « désactivée » [même mot que « handicapée » en anglais]

Connexion désactivée

Connexion désactivée

Est-ce que cela signifie que mon wifi est soudainement devenu moins efficace ou cassé ? A-t-il acquis un handicap ? Bien sûr que non. Il a été empêché de fonctionner par une force externe. D’une façon très similaire à celle dont les conducteurs de bus qui ne s’arrêtent pas si ils me voient – une passagère en chaise roulante – attendre à l’arrêt de bus, m’empêchent de « fonctionner ».

Hannah Cockroft [une championne paralympique détenant records du Monde et médailles d’or] n’est pas quelqu’un que vous pouvez qualifier de « moins capable ». Cette femme est imbattable sur une piste d’athlétisme. Mais elle est handicapée pour se déplacer dans Londres à cause des escaliers et des escalators installés par des humains dans les stations du Métro.

En tant que personne avec une mobilité déficiente, je suis handicapée par les marches, escaliers ou escalators, quand je ne peux pas utiliser un ordinateur par alors que je ne peux pas écrire à la main, par des logements inaccessibles, etc. Pour moi, une volée de marche sans la possibilité alternative de prendre un ascenseur est exactement l’équivalent d’un click-droit sur moi pour « désactiver Lisa ».

Désactivation ?

Désactivation ?

Une fois que j’ai découvert le modèle social, je me suis rendue compte que mon corps n’était pas du tout le problème.

Beaucoup pourraient argumenter en affirmant qu’ils ont effectivement un handicap. Ils insistent sur le fait que, même si toutes les barrières que la société a mises en place étaient supprimées, il y a encore beaucoup de choses qu’ils ne pourraient faire.

La première réponse à cela : c’est le droit d’une personne de s’identifier comme elle le souhaite. Si ils se sentent plus comfortables comme « personnes qui ont un handicape » plutôt que comme « personnes que l’on handicape », cela n’est pas mon problème.

Ensuite, la plupart des ces personnes n’ont pas remarqué que le modèle social fait une différence entre la « déficience » (les choses que vous ne pouvez pas faire à cause de votre corps / cerveau) et le « handicap » (les barrières sociales qui vous handicapent parce que vous avez une maladie ou une déficience). J’ai une déficience de mobilité, et à cause de cela, la société fait un click droit sur moi et m’empêche de fonctionner à mon plein potentiel.

Certains diront que le modèle social est seulement une théorie sociologique ; qu’il n’a aucun impact dans la vie réelle. Pour moi, ce n’est pas vrai. J’avais 17 ans quand j’ai découvert le modèle social, et cela a radicalement changé la façon dont je percevais mon propre corps.

Quand j’étais enfant, je me demandais quotidiennement « pourquoi moi ? ». Je me demandais pourquoi mon esprit avait été placé dans un corps qui souffrait tellement la plupart du temps. Je haïssais mon corps quand je n’avais pas le droit de participer à des excursions scolaires ou quand j’étais laissée seule en classe pendant que mes camarades avaient des activités plus drôles. Moi j’étais abandonnée à mon propre sort en classe, avec un livre de math — et rien de plus passionnant.

Une fois que j’ai découvert le modèle social, je me suis rendue compte que mon corps n’était absolument pas le problème. La raison pour laquelle je passais tant de temps à souffrir était que je recevais un demi-paracétamol toutes les quatre heures pour mes multiples fractures. Il n’y avait aucune nécessité à ma souffrance ; des anti-douleur efficaces existaient dans les années 80. Refuser à quelqu’un les médicaments contre la douleur est une barrière comportementale qui rend leur vie plus difficile.

Ce modèle m’a aussi permis de me rendre compte que ce n’était pas la faute de mon corps si j’étais traitée comme une merde à l’école. C’était une discrimination envers les handicapés. Avec le recul, cela me semble tellement étranger d’avoir simplement accepté que mon corps déficient soit à blâmer pour tous les malheurs que j’ai supporté au collège et au lycée, mais c’était la seule différence que je pouvais percevoir entre moi et les autres enfants. Personne ne s’est arrêté pour me dire que je subissais une discrimination, que cela n’avait pas de raison d’être et surtout, que cela n’était pas la faute de mon corps.

Personne ne m’a jamais dit que je devais me décrire comme une « personne en situation d’homosexualité » ou une « personne avec un déficit de féminité ».

L’argument principal en faveur de l’expression « personne en situation de handicap » est que la « personne » passe en premier. Quuuuuuuuoi ? Personne ne m’a jamais dit de me décrire comme une « personne en situation d’homosexualité » ou comme une « personne avec un handicap ».

Il n’est pas surprenant que ma réponse ait tendance à être, soit aussi longue que cet article, soit une simple suite d’onomatopées bien senties.

Les Jeux Paralympiques se sont tenus à Londres il y a deux mois [en septembre 2012]. Durant ces jeux, il est devenu cool pour les célébrités sans déficience de twitter que le mot « handicapé » est ridicule et doit être remplacé. J’adorerais voir si elles ont toujours la même opinion une fois que l’accès aux transport, au logement, aux soins médicaux et aux possibilités d’éducation leur aurait été refusé. « Handicapé » est le meilleur mot au monde pour décrire les barrières que j’affronte et aucune personne « sans handicap » n’a le droit d’essayer de me le refuser.